Ce texte, écrit par notre fondateur Alexis Lafont pour l’Honoré Magazine du Printemps 2018 vous est restitué ici, car il nous a semblé que le sujet est un des thèmes intéressants qui revient quand on évoque le bel ouvrage “soulier”.
Le thème de l’article : le goodyear est il le seul mode de montage d’une chaussure qui vaille la peine d’être porté – acheté ?
Le monde du beau soulier, souvent trouble, mérite que lumière soit faite sur les vérités du montage. Les mythes ont la vie dure. Celui du goodyear particulièrement.
Faire-savoir et savoir-faire. Le premier au service du second. Tel est l’enjeu tant les mythes naviguant aujourd’hui dans les eaux souvent troubles du soulier sont nombreux. L’un d’entre eux s’avère particulièrement coriace : le montage. Autrement dit, la technique employée pour solidariser la semelle au reste du soulier – la tige. Le goodyear est-il réellement le seul montage honorable ? Il est temps de rompre le charme associé à ce mot, de manière à dévoiler un monde plus merveilleux : celui du véritable savoir-faire qui n’est pas question d’appellation mais bien d’expertise, unique garantie de qualité.
Nombreuses sont les marques à se contenter de convoquer les dieux du soulier en placardant l’appellation goodyear afin de masquer un produit médiocre, mal assemblé et arborant une peausserie de piètre qualité. D’autres maisons, elles, s’astreignent à concevoir et proposer un produit bien fait, qu’il soit monté en goodyear, en bolognais ou en norvégien. On l’entend souvent : le goodyear peut-être ressemelé ; il est plus robuste et plus rigide. La plupart du temps, le cuir de souliers acquis à bas prix – montés en goodyear – sera fendu avant même qu’il n’ait eu le temps d’être ressemelé. Réduire la qualité d’un soulier à son montage, ou, pire, à l’appellation de son montage, est absurde. Un montage blake de la maison Aubercy est d’une noblesse infiniment plus remarquable qu’un goodyear commercialisé par des maisons n’ayant d’anglais que la consonance de leur « brand name » – le goodyear n’a-t-il d’ailleurs pas été inventé au Royaume Uni ? Coïncidence…). Surprise : le même montage blake est aussi ressemelable ! La différence majeure réside dans le fait que la paire d’Aubercy, elle, laissera à son utilisateur le temps de la ressemeler trois, voire quatre fois avant de rendre l’âme.
La véritable valeur d’un soulier s’évalue au temps qu’il va laisser à son utilisateur – le plus long possible – pour qu’il s’y attache au point d’éprouver un vrai déchirement au moment où l’imminence de sa mort s’impose comme une réalité. Ce qui fait la qualité du soulier n’est ainsi pas la nature du montage, mais le soin qui aura été mis a confectionner l’objet final, dans sa globalité. C’est précisément là qu’entre en scène l’artisan et le savoir-faire qu’il a accumulé ; la fameuse expérience… Un goodyear fait à la main par le bottier Dimitri Gomez est une œuvre d’art méritant bien plus de considération que la simple appellation donnée au montage. Mais qu’importe de faire le procès des uns ou des autres ; l’enjeu est de passer l’écran de fumée marketing qui prévaut malheureusement aujourd’hui, dans un monde digital où l’information est devenue à ce point accessible qu’on y est paradoxalement totalement perdu. Le trop plein d’information pousse à chercher la synthèse et à aller trop vite. Certains acteurs en profitent pour vendre une appellation qui, hélas, ne tient pas toujours ses promesses. Mais au-delà de ce clivage lié à la notion de qualité, il convient de comprendre comment résiste le mythe du gooyear lorsqu’il est confronté à l’assaut de la logique. Certaines maisons, comme Caulaincourt, ont élaboré une proposition qui s’articule autour de la notion d’utilité : quel usage le client va-t-il avoir de ses souliers ? Ces maisons vont proposer tous les montages existants pour répondre à l’usage exprimé. Autrement dit, c’est la réponse qui va donner le ton du montage. Doit-il être isolant pour protéger le froid mordant d’un trottoir New Yorkais en janvier ? Ou bien être d’un confort absolu pour accompagner son utilisateur et son smoking une nuit durant ? L’approche peut-être métaphorée : mettrions-nous des chaussures imperméables à un hippocampe, ou des bottes de sept lieux à une tortue ? L’usage que l’on réserve aux souliers diffère énormément d’une paire à l’autre, et, de fait, le goodyear, avec ses avantages et ses inconvénients, ne peut être une réponse systématique. Enfin, la notion d’esthétique semble importante pour terminer de fissurer le dogme du goodyear sinon rien. En effet, un soulier a vocation à assouvir une envie d’élégence. Si le montage goodyear, qui arbore une trépointe cousue, c’est à dire une semelle dépassant du soulier, se marie bien avec une paire de bottines, ses proportions généreuses s’assortissent plus difficilement avec un soulier de smoking.
Ce constat permet de souligner combien l’usage du soulier doit prévaloir sur son appellation, ainsi que l’importance de la qualité de l’artisan va induire dans son produit, et enfin l’enjeu d’équilibre esthétique de l’objet final. En vérité, le mythe du goodyear est un rétrécissement absurde qui fait mal aux pieds. A chaque maison d’apprendre à ses clients à savourer cette odeur virile du cuir comme ils savourent une boulangerie parisienne au petit matin : leur provenance est la même, à savoir un monde de plaisir et d’exigence, de travail et de patience, garant de la qualité des futurs souliers.
Alexis Lafont, pour l’Honoré Magazine.